La fièvre du client toxique : difficile hier, INFRÉQUENTABLE aujourd’hui

Septembre 2025

Dans mon activité de consultant Notion, je rencontre régulièrement des clients potentiels. Et tous les prospects ne se valent pas. Je ne parle pas du prestige de l’entreprise, ni même du secteur : mais des qualités interpersonnelles des personnes impliquées dans le projet.

Il me semble que les soft skills constituent le facteur déterminant de la qualité d’une collaboration.

Le travail n’y est généralement pour rien, seules les conditions d’exercice de ce dernier indiquent s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise mission. Avec l’expérience, j’ai su affiner mon radar pour anticiper dès les premiers échanges, le type de collaboration dans laquelle je m’apprête à embarquer.

Et même si c’est plutôt rare, je m’autorise à passer mon tour si je pressens un comportement qui risque de mettre mon activité en danger. Je précise qu’à ce jour j’exerce mon activité seul : le temps est donc ma ressource la plus précieuse.

Cependant, ces derniers mois, mon « radar » semble brouillé. Et j’en paie les conséquences :

  • Un mauvais payeur
  • Un inquiétant « quiproquo »
  • Une négociation lourde et interminable.

Résultat : du temps gaspillé, de l’énergie cramée, une sensation désagréable.

Cette cumulation d’erreurs de jugement est-elle le fruit du pur hasard ? Où y a-t-il une rupture majeure dans le comportement de certains travailleurs ? Je n’ai aucune certitude, mais l’inconfort du moment m’a donné l’occasion d’observer et de penser.

C’est le point de départ de ce que j’appelle « la fièvre du client toxique ».

Place à l’explication !

Trois situations un peu désagréables pour planter le décor

Commençons par le mauvais payeur. J’ai travaillé en fin d’année dernière pour une fintech afin de concevoir leur espace Notion. La prestation se déroule bien, je délivre et j’onboard.

Je reçois des compliments qui me semblaient sincères. Puis silence radio. Solde impayé. J’envoie des relances courtoises pendant 6 mois, pour faire un retour d’expérience et être réglé.

Puis, enfin, une réponse :

« Bonjour Warren, Nous accusons réception de votre relance concernant le solde de la facture F-PW-2024-XXX […] Nous estimons donc que la mission n’a été que partiellement réalisée, et que la prestation fournie ne correspond ni au cahier des charges, ni à nos attentes, ni à ce qui a été contractuellement convenu. _ Conformément à l’article 1219 du Code civil relatif à l’exception d’inexécution, nous sommes parfaitement fondés à refuser le paiement du solde de la facture, le service attendu n’ayant pas été délivré. Nous considérons ainsi la collaboration comme définitivement close ; il n’y aura donc aucun règlement supplémentaire ni reprise de la mission._
Merci de prendre acte de cette décision, qui est ferme et définitive. »

Passons maintenant à la deuxième anecdote : l’inquiétant « quiproquo ».

En mai une entreprise d’événementiel me contacte pour un projet no-code complexe. Je présente la prestation en deux phases, annonçant le coût pour la première, ainsi qu’une fourchette pour la deuxième, afin qu’ils puissent avoir une idée du budget à mobiliser.

Nous signons. Mon interlocuteur est très exigeant et pressé. Je respecte les délais de la phase n°1. La personne est très contente. Puis, lorsqu’on discute plus concrètement de la phase n°2, elle prétend que mon offre n’était pas clair, qu’elle n’est pas prête à engager davantage de budget pour mener à bien la suite du projet.

Inquiet, je relis ma proposition et nos échanges. Je constate que j’avais tout clairement précisé. Dans le doute, je consens à faire un discount de 50% sur la phase n°2.

Dernière histoire : la négociation lourde et interminable.

En mars, j’ai été contacté par une PME. Le dirigeant est très sympathique et soucieux de bien faire. Les deux RDV de prise de brief s’éternisent, beaucoup de questions me sont posées.

Cela montre une implication et j’y réponds avec plaisir. Je formule ensuite une proposition commerciale que je transmets par email. s’en suivent des échanges d’e-mails d’une longueur tout à fait inédite.
Des équivalents de 5 pages Word. Successifs. Massifs. M’engageant dans une faille spatiotemporelle sans aucune garantie de remporter le contrat.

Dénominateur très commun, promesse bafouée, piste de réflexion

Pourquoi je raconte ça ? Pour pleurnicher ? 😢 😢 😢 Pour que vous envisagiez en toute légitimité que « c’est peut-être juste lui le problème ! » ?

Suis-je une personne odieuse emmitouflée dans un déni soyeux ?

Peut-être…

Mais peut-être pas !

Il se pourrait que la faute revienne à… ChatGPT ! 🤖

Dans ces trois cas, j’ai pu ressentir très fortement la présence des LLM :

  • Mauvais payeur : email de refus de paiement avec article de loi à l’appui = full IA
  • L’improbable « quiproquo » : en relisant soigneusement nos échanges j’ai compris que la personne n’a pas vraiment lu mes messages mais les a donné à ChatGPT pour me répondre et m’envoyer les emails tels quels
  • La négociation lourde et interminable : toutes les questions et les emails du prospect ont été exclusivement rédigés par ChatGPT

Mais alors, où est la promesse de l’IA générative ? Gagner en productivité, aller plus vite…

Ici, elle aurait plutôt tendance à me faire perdre du temps et de l’argent.

J’en suis venu à cette conclusion : la GenAI amplifie surtout la personnalité et les soft skills de chacun.

Une personne précautionneuse devient très précautionneuse.
Quelqu’un de serviable devient très serviable.
Une client au comportement difficile devient INFRÉQUENTABLE.

Au travail, vous avez peut-être déjà remarqué des comportements surprenants à cause de l’IA. C’est parce que l’IA générative matérialise ce qu’on a dans la tête, délestée de toute paresse. Le levier est exceptionnel, mais à double tranchant.

Restons sur l’archétype du « Client toxique perfusé à l’IA », et analysons son comportement et ses conséquences sur les relations commerciales.

Symptômes simples, conséquences terribles

La fièvre du client toxique est assez simple à identifier.

En voici quelques symptômes :

  • Augmentation anormale des A/R dans les phases de négociations
  • Augmentation de la longueur des textes dans les emails avec une forte densification du niveau de détail
  • Conception en amont d’un cahier des charges irréaliste et halluciné
  • Mauvaise foi déguisée en pirouette juridique
  • Illusion de maîtrise du client

Et c’est ce dernier point qui je pense a le plus d’impact dans les relations commerciales : l’illusion de maîtrise. Le client toxique a agité son besoin avec ChatGPT.

Cette discussion avec l’IA lui donne l’impression d’avoir compris un domaine qu’il ne maîtrise pas.

Pire encore, s’il manque vraiment de lucidité, il ira jusqu’à sincèrement s’approprier tout ce que ChatGPT produit. Brandissant sans gêne « son » cahier des charges ultra précis.

Et les conséquences commerciales sont terribles :

  • L’expert n’est à ses yeux plus qu’un simple exécutant : la valeur du prestataire baisse
  • Le brief comporte des erreurs, mais le client est habité d’une étrange fierté qui compromet une discussion honnête : si vous remettez en cause « son » brief, il risque de se vexer et de vous juger incompétent
  • Le client pense avoir fait le gros du travail : il attend que le service soit exécuté dans des délais plus courts.

Cela débouche sur un triptyque d’effets infernaux : prix psychologique en baisse, perte de légitimité, délais réduits.

Mais c’est sans doute un jeu à somme négative, car les clients toxiques à l’ère de l’IA vont, à terme, n’attirer que des prestataires qui eux aussi vont bâcler leur service en utilisant aveuglément l’IA. Car les personnes consciencieuses ne seront pas sélectionnées à cause de leur intégrité dérangeante.

Voilà, vous êtes prévenus. Le client toxique est sous fièvre, ne vous faites pas contaminer !


Réflexion bonus : l’inversion des signaux d’engagement

Pour finir sur une note plus légère, je constate aussi un phénomène curieux : avant ChatGPT, recevoir un long e-mail était une preuve matérielle de l’implication de notre interlocuteur.

Même si c’était parfois indigeste ou lourd à lire, on avait néanmoins la certitude qu’un effort avait été produit.

Depuis l’avénement des LLM, c’est l’inverse : les personnes les moins engagées et les plus paresseuses sont celles qui « écrivent » les plus longs e-mails – ou tout autre livrable écrit d’ailleurs.

Elles envoient un prompt, copient-collent le résultat en effleurant à peine le texte de leurs yeux pressés. Quant à elles, les personnes consciencieuses vont peut-être avoir recours à un générateur de texte, mais vont ajouter une phase de raffinement, de modification, de soustraction du superflu.

Et puisque certaines personnes n’utilisent pas encore les LLM, cette inversion est partielle, ajoutant encore davantage de la confusion à ces signaux contradictoires.

Promis, j’ai tout écrit moi-même !

À bientôt,